dimanche 19 juin 2011

LES TURBULATEURS

Les turbulateurs sont bien connus des modélistes de vol libre, et tentent parfois ceux du ceux du F3. Ils sont aussi connus et pratiqués par les aérodynamiciens qui doivent faire des expériences à petits Re qui simulent d'assez près le vol de l'aéronef « grandeur » qu'ils étudient. Les maquettes pour les souffleries sont quelquefois trop petites.
Le problème vient des caractéristiques de l'écoulement lorsque le terme visqueux prend une certaine importance.
Tant que la couche limite est peu épaisse relativement, le schéma dit qu'elle est tout d'abord laminaire, puis qu'après une courte transition elle devient turbulente, enfin lorsque son énergie décroit encore , très grands angles d'attaque pour une aile par exemple, elle décolle, au bord de fuite tout d'abord. Mais lorsque diminuent les Re la transition devient plus difficile et se produit un décollement laminaire et une bulle avant que la couche limite devienne turbulente. Aux petits Re survient également plus facilement la séparation de bord de fuite, ainsi l'angle de décrochage diminue. La bulle laminaire change le profil de vitesse autour de la section, il en résulte beaucoup de trainée. La séparation complète au bord de fuite (extrados) et de plus en plus profondément à mesure que l'angle d'attaque augmente détruit la portance et engendre une énorme trainée. Pour dominer ces deux phénomènes il se révèle avantageux de provoquer et d'entretenir la turbulence fût-ce avec un dispositif lui même créateur de trainée, le turbulateur. On considère le plus souvent que cet artifice vaut en dessous de 100.000 Re. Ce peut être le cas pour les extrémités d'un aile d'HPO à grand effilement, ce sera également le cas des « plumes » s'il utilise un bord marginal divisé. Mais nous verrons que même le DG 300 peut tirer bénéfice d'un turbulateur.
Et puisque des profils tels que l'UI 1720 nous intéressent, qui ne passent pas facilement au dessous de leur Re critique (élevé), pourquoi ne pas déclencher la turbulence d'abord à 20% ou un peu avant pour les Re de l'ordre de 1.000.000, puis de plus en plus près du BA si l'on cherche à récupérer de l'efficacité vers 500.000 Re et en dessous.

LES FILS !
On en voit de eux sortes ; premièrement les fils tendus en avant de l'aile. La place du fil en hauteur devant le bord d'attaque est très importante. Assez haut il conviendra à un profil peu cambré utilisé à de faibles AOA. En effet la perturbation n'atteindra la couche limite qu'assez loin du BA. Si au contraire le profil est bien cambré et qu'on l'utilise à de forts AOA le fil sera tendu plus bas que le BA ce qui fera que sa perturbation rendra la couche limite turbulente beaucoup plus tôt. La distance en avant du BA importe également ainsi que la fixation du fil et son diamètre. Sur les Nordiques on utilisait volontiers un élastique de 1 mm de diamètre environ, modérément tendu entre de rares supports, la vibration du fil concourant à la création du flux turbulent. Le dispositif étant fragile il n'a plus guère d'usage.
La deuxième manière d'utiliser des fils est de les coller sur le profil à quelque distance du bord d'attaque. Souvent un premier fil est collé vers 10% ou moins et un second plus profondément, à 25% environ. Xenakis montrait un seul turbulateur placé à l'extrados de son stabilo assez profondément, cela s'explique par le Cz d'utilisation très en dessous de celui de l'aile permettant donc de confier en un écoulement laminaire du BA au fil. Notez que les fils de Xenakis sont carrés ! D'autres modélistes se servent d'adhésifs très étroits superposés, faciles à coller et déplacer. En effet la mise au point requiert des essais multiples. La hauteur usuelle est de l'ordre du demi millimètre. Les modélistes sont généralement plus discrets que Xenakis sur les dimensions et la place de leurs turbulateurs et sur le fait qu'ils les utilisent ou non. Ils montrent plus volontiers leurs profils préférés.

LES TURBULATEURS EN DENT DE SCIE
Très efficaces ils constituent un relief du même type que les fils mais se développent en 3D. Imaginez un revêtement de BA qui n'aille que jusque vers 20% de la profondeur. En sur-épaisseur placez un deuxième coffrage qui aille un peu plus profond, jusqu'au longeron typiquement. C'est celui-ci qui sera taillé de manière à présenter des dents. La pointe avant se placera à 5 ou 10% et le creux vers 15% et plus. Ceci sur les modèles réduits comme les moto-modèles F1C. Jon Howes pour son proto de voiles rigides l'avait placé à 20% sur un UI 1720. Je suppose que ces 20% correspondent au fond des dents de scie et que ce turbulateur était moins profond relativement que ceux des F1C. En effet le modèle était assez grand ce qui justifiait de déclencher la turbulence plus tard. A l'extrème limite un tel profil issu du 1720 mais beaucoup plus mince (7 ou 8%) a été essayé par Jean Wantzenreither, modeliste alsacien dans les années 70 ou 80 sur un Coupe d'Hiver, c'est à dire à 30.000 Re ou moins. Le turbulateur en dents de scie commençait très tôt. Des essais systématiques et des calculs montrai qu'il donnait moins de trainée mais aussi moins de portance que le meilleur des profils classiques (à facettes) utilisé alors par Georges Matherat. Au bout du compte le plané était un peu plus rapide mais plus tendu et les modèles étaient équivalents.
Je ne sais rien du turbulateur en dent de scie des DG 300, destiné à remplacer des pitots d'intrados et des conduits qui s'encrassaient. Mais voyez le domaine d'application est large !

LES PICOTS
Dans le catégorie turbulateurs 3D nous avons un autre dispositif simple. Il consiste en une rangée de picots d'environ 1 mm de hauteur ou plus et 1mm de diamètre modérément rapprochés suivis d'une autre rangée en quinconce. Moins de trainée sans doute qu'avec les dents de scie ! De plus ils peuvent être envisagés sur une aile sans coffrage. Cependant ils ne sont pas très utilisés à ma connaissance. J'ai moi même experimenté avec des petits cubes de balsa 1x1mm collés au BA d'un profil plat à flèche avancée. Le résultat n'était pas mauvais mais je n'avais pas comparé avec d'autres dispositifs. Ces turbulateurs à picots ont une certaine parenté avec les dispositifs utilisés sur les ailes en flèche pour stabiliser l'écoulement transverse. Mais il ne s'agit pas du même domaine de vitesse ni du même problème.
Les modélistes qui experimentent avec le profils Eggleston sont intéressés par ces picots et leur attribuent de meilleurs résultas qu'aux fils et rubans.

LES TROUS DES BALLES DE GOLF
Placés là par la tradition de même que les coutures des balles de hockey ces trous se remarquent par leur efficacité. Bonne turbulence et peu de trainée propre. Ils sont cependant difficiles à réaliser sauf sur des ailes moulées, un film muni de ces petites demi-sphères en relief étant introduit dans le moule.

LES ÉTATS DE SURFACE
Si dans la gamme des Re supérieurs à 100.000 un état de surface lisse (¿poli? peut-être pas), est préférable, un peu de grain ne nuit en rien aux performances aux bas Re. Papier, toile, papier émeri sont parmi les moyens d'entretenir la turbulence et d'améliorer l'adhérence de la couche limite. On voit sur beaucoup de deltas une toile plus grossière au bord d'attaque. C'est la gaine du renfort qui est constituée côté visible d'un revêtement renforcé proche des toiles de bâche. Les fils de renfort sont relativement apparents. Sur les Wakefields on voit certains BA réalisés en tissus de fibre de carbone . C'est le cas des modèles d'Andriukov dont le BA en D est réalisé en FdC 80 g. Un grain assez apparent doit en résulter et puisque le profil est camus au bord d'attaque le modèle se passe de turbulateur.

LES LOCUST GROVES DU CABINET LAROCHE
Constatant que les ailes des insectes sont pleines d'irrégularités, que les ailes des criquets migrateurs sont d'une rare efficacité et qu'ils sont même capables de plané, le Cabinet LaRoche a étudié un dispositif qui n'est pas présenté comme un turbulateur mais qui a cependant un air de parenté avec ceux-ci. Des canaux obliques sont creusés au bord d'attaque, le petit mur de séparation suivant les définitions du profil. L'inclinaison recommandée atteignant 60º, la profondeur des sillons étant impressionnante (des méthodes de calcul sont indiquées qui tiennent compte de l'épaisseur de la couche limite), je me demande si ces cuvettes ne déclenchent pas la turbulence ? Malheureusement le site qui donnait ces caractéristiques n'est plus disponible.

LES BOSSES DE BORD D'ATTAQUE TYPE BALEINE
Des études destinées à améliorer les rendements des pales d'éoliennes ont été menées au Canada qui ont conduit les chercheurs à imiter les ailerons des baleines. Ils semblent contents des résultats mais je n'ai pas vu de publication à ce sujet.

ASPIRATION ET SOUFFLAGE DE LA COUCHE LIMITE
L'aspiration et le soufflage forcés sont étudiés en laboratoire pour les avions et engins en particulier pour les machines à décollage court, mais nous nous intéressons auau soufflage passif. Sur nos machines ultra légères il ne faut pas rêver, les grammes sont comptés ! Ainsi des planeurs télécommandés F3B et consorts on reçus des turbulateurs à soufflage passif ; ils consistaient en une série de trous coniques allant de l'intrados à l'extrados. Percés dans le coffrage et le foam ils allaient de 3 ou 4 mm à l'entrée à 1mm à la sortie ; ils étaient inclinés d'avant en arrière. Je donne les dimensions de mémoire, n'ayant pas vu d'articles récents dans la presse modéliste. Également de mémoire les trous débouchaient vers 50% de la corde à l'extrados, un peu en avant peut-être mais guère. Ils n'empêchaient donc en rien la couche limite d'être laminaire jusque là, donnant juste un coup de pouce à la transition pour des angles d'attaque assez faibles et des Re plutôt élevés. Espacés, ils n'augmentaient la trainée que dans une faible mesure.
Du même genre mais conçue pour récupérer par une légère aspiration une couche limite laminaire perdant de l'énergie, la disposition discutée par Murray et Jon Howes présentée dans ces lignes dans l'article sur la stabilité des oiseaux devrait souffler très légèrement au bord d'attaque pour ne pas être un turbulateur involontaire. Dans la discussion les auteurs envisageaient une toile destinée également à éviter l'encrassement des canaux par les moucherons. Je rappelle qu'il s'agit d'un dispositif qui établit un courant inverse à la translation sous le revêtement s'inspirant de ce qui doit se passer sous les tectrices des oiseaux.
Dans le cas de l'Orni et du Wakefield à ailes battantes dont les ailerons auront un profil ouvert au bord de fuite j'envisage de mettre l'intérieur de l'aile à la pression d'intrados et de laisser l'air s'échapper à l'extrados (si nécessaire) et au bord de fuite-intrados là où il s'ouvre. Ainsi j'espère améliorer l'écoulement, un simple surface étant toujours délicat même s'il ne l'est que sur 10% ou moins. Cet artifice existe ou a existé sur des deltas.

TURBULATEURS D'INTRADOS
On oublie parfois de penser à l'intrados qui aux petits angles souffre des mêmes maux que l'extrados aux grands angles. Souvent un fil est nécessaire pour contrôler la couche limite et permettre de diminuer la trainée lors des prises de vitesse.

CONCLUSION
Chaque aile, chaque profil est un monde et l'inventivité ne suffit pas. Ce qui donne satisfaction dans un cas n'apportera plus rien dans un autre. Il faut absolument expérimenter pour être certain du résultat, La place des fils est un bon exemple de cette recherche. Et la facilité qu'il y a à les déplacer explique leur succès pratique. Pour ce qui est du Wake à ailes battantes le profil choisi (BE 9745)devrait se passer de turbulateur au centre d'aile vu sa profondeur généreuse (160 mm) mais les bouts d'ailes pourraient en bénéficier. Mon choix irait alors à un léger soufflage de l'extrados.

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