mercredi 25 mai 2011

RÉCAPITULONS !

Je me rends compte du fait que ce « carnet de bord » a fait un survol de nombreux problèmes et qu'arrivés à ce point les lecteurs peuvent avoir perdu le fil … d'Ariane, tiens un autre moyen de sortir du Labyrinthe, car dans le fond là est le vrai problème.
Depuis le petit historique et la description d'un orni partiel biplan il y a eu des incursions dans l'histoire de l'aérodynamique et sur l'intérêt du moteur à vapeur directement utilisé en mode alternatif. Plus l'analyse du Snowbird et bien d'autres choses encore.

Récapitulons donc !
Le vol battu dans la nature est étendu des insectes aux mammifères, et son succès est indéniable. Il ne faut jamais perdre de vue qu'il était à peu près impensable de faire autre chose, le travail musculaire ne se transforme pas facilement en mouvement circulaire pour animer une hélice ou un rotor. Cela les humains peuvent le faire mais « l'évolution » a du mal, et même s'il y a un poisson des grandes profondeurs qui me fait mentir, son organe giratoire n'est pas l'arbre d'une hélice mais une sorte d'appât, de canne à pêche si je me souviens, la puissance manque ! Forcés par Dame Nature les animaux qui ont voulu atteindre le vol propulsé n'avaient donc rien d'autre à faire que de battre des ailes. Cela ne faisait pas que le vol battu soit favorable. Il fallut certainement de nombreuses tentatives et échecs pour que les animaux volants soient bêtement et simplement efficaces. Pour autant les merveilles que nous voyons évoluer dans le ciel ne sont en rien des miracles. Il faut en particulier écarter l'idée d'un rendement exceptionnel, tendant à la finesse infinie. Les animaux ont très souvent des muscles beaucoup plus puissants que ceux de l'homme. Le muscle reptilien, celui des oiseaux également, sont dans ce cas. Et même si nous découvrons le secret des grimpettes quasi verticales des pigeons (wake capture?) il reste que la meilleure des aérodynamiques ne diminuera pas la puissance nécessaire pour monter une côte de 10% à 10 m/s : 1 ch (750 W) pour un homme de 65 kg montant une bicyclette de 10 kg qui n'offriraient aucune résistance à l'air ni au roulement ! Cette puissance l'homme, l'athlète entraîné veux-je dire, ne la développe que sur un temps assez court. La conséquence ? Très simple : quand nous aurons la machine la mieux étudiée, admettons même que la maintenir en vol horizontal soit gratuit (!) nous aurons bien du mal à la faire grimper ne serait-ce qu'à 30 m en un temps raisonnable. Je ne m'engagerai pas aujourd'hui dans l'étude des solutions, il s'agissait seulement de situer le problème.
Pensant sincèrement que les oiseaux ont bien résolu la question des mouvements à réaliser je remarque que non seulement ils battent l'air mais qu'ils réalisent un mouvement de balayage. C'est ce que je vois chez le martinet et le pigeon dans nos villes. Leurs ailes sont plutôt raides, il y a probablement un changement de dièdre avec déphasage comme chez beaucoup d'autres oiseaux sauf les oiseaux-mouche mais ce n'est pas ce qui apparaît le plus. D'autres oiseaux pratiquent un court plané au cours de la remontée des ailes, le hirondelles par exemple. Les cigognes remontent les ailes rémiges serrées avec un fort déphasage, mais on voit celles des aigles et des corneilles encaisser une portance certaine durant cette phase de remontée. Et sans plus entrer dans les détails j'aimerais vous convaincre qu'il y a bien des manières de battre des ailes. Chaque oiseau a d'ailleurs plusieurs allures, le battement est nettement différent selon qu'il vole lentement ou rapidement.
Il nous faut donc avoir une approche bionique mais puisque l'objet que nous envisageons n'est ni un insecte, ni un reptile du secondaire, ni un oiseau, ni une chauve-souris, nous n'allons pas copier la nature mais chercher ce qui rend le vol naturel efficace. En effet de nombreux détracteurs de nos recherches sont prompts à constater que ni les modèles réduits expérimentés jusqu'ici ni les prototypes de Toronto n'ont démontré l'efficacité du vol battu.
Festo fait précisément changer quelque chose. Le rendement aérodynamique calculé de leur machine serait de 80%. Quel regret que le petit moteur électrique et ses engrenages soient là pour nous gâcher le plaisir. Il ne lui faut que 24 W pour se maintenir en l'air, c'est peu pour un modèle réduit de cette taille, c'est beaucoup pour 450 g à une vitesse de l'ordre de 10 m/s. Mais dans le fond si la même machine ou à peu près était propulsée par une hélice lente nous aurions la même amertume et des résultats assez proches voire inférieurs. 80% serait en effet un rendement jamais atteint pour une hélice de modèle réduit qui perdrait en gros la même chose côté moteur (efficacité de 70% si tout va bien), par les engrenages et dans la restitution de batterie. Festo donc, est dans le vent ! Et comment ? Par rapport à ses confrères « ornithoptères à aile membrane » il a trois atouts :

1/ L'aile est dotée d'un profil.
2/ L'aile vrille en prenant une forme d'hélice de propulsion à l'abaissée et de rotor d'éolienne à la remontée.
3/L'aile se casse en dièdre inverse à la remontée assurant un déphasage favorable à la continuité de la portance et de la traction ainsi qu'à la réduction de la trainée induite qui représente l'essentiel de la trainée du vol lent. A ceci s'ajoute une augmentation de l'envergure effective lors de la remontée dont la trainée générale est forte. Bienvenue donc à ce déphasage !

Si cela suffit pour atteindre 80% de rendement aérodynamique, je jurerais que l'addition du mouvement conique ou balayage devrait permettre d'approcher les 100%. Peut-être le balayage compliquait-il trop la réalisation ou l'analyse ?
De mon point de vue Festo change tout, en confirmant ce que Jon Howes nous a enseigné sur les mouvements corrects du point de vue du respect des lois qui conduisent à un sillage économique. Je répète donc ce que montre l'analyse : pour réussir un ornithoptère il faut que ses mouvements reproduisent le déphasage le vrillage et si possible le balayage. La réalisation compte également beaucoup, l'aile vrillée ne doit pas avoir de vagues de revêtement entre autres (cf. ce qu'a dit Reichert dans l'interview q'il a accordé à Aviación Deportiva pour son nº 158 à propos du Snowbird), et trouver des solutions à chaque problème technique est un gros travail, travail d'équipe très certainement. Il faudra des moyens à cette équipe, peut être moins qu'à une lourde équipe universitaire. Du moins je le souhaite.
L'autre point très important que j'ai développé est qu'il faut tenir compte dans l'analyse d'un grand ornithoptère aux mouvements lents, des hauts et des bas qui font que la partie centrale des ailes et le fuselage réalisent le mouvement inverse de celui des extrémités. Si "j'entrevois" ce que cela signifie sur la circulation, donc sur la trainée induite, (je ne suis qu'un étudiant tardif : « Dieu que n'ai-je étudié au temps de ma jeunesse folle »), j'avoue ne pas dominer la question. Et sans tourner autour du pot je propose ma solution qui est simple : réduire l'aile battante et avoir une notable partie fixe. Il en résulte qu'avec le même « moteur » on peut battre des ailes plus vite, ce qui laisse moins de temps à la gravité dans ses actions peu souhaitables et réduit la perte momentanée de portance à celle que perd l'aileron sustentateur-propulseur. L'aile fixe garde grosso modo sa force de sustentation durant tout le cycle. L'effet Katzmayer intervenant il faudra veiller à ce qu'il soit positif, c'est d'ailleurs un joli sujet d'études.
Le « partiel » par ailleurs préfigure mieux les machines d'un futur lointain que je n'ose moi-même imaginer mais que d'autres préconisent. Des transports aériens battant des ailes, figurez-vous ? Quoiqu'utopique je ne trouve pas l'idée ridicule.

Faisons cependant ce qui est à notre portée. En dehors des facilités aérodynamiques qu'il nous donne c'est un des avantages du partiel que d'avoir des ailes battantes plus faciles à réaliser. Nous saurons bientôt faire des ailes de modèles réduits qui fonctionnent parfaitement. Festo le fait déjà avec une bête peau de mousse de polyuréthane et une structure de fibre de carbone très réduite. Appliquons de telles ailes à l'échelle triple à un planeur ultra léger. Seront-elles trop petites pour assurer la traction nécessaire ? Beaucoup plus grandes que les pales de l'hélice d'un HPA elles pourront certainement donner deux fois la traction nécessaire à la conservation d'altitude pour que le temps mort de la remontée soit annulé. C'est en réalité un peu plus compliqué mais restons sur cette équation simplifiée du bilan des forces dans le temps. Leur conception et leurs mouvements peuvent favoriser la traction en réduisant un peu la portance à la remontée. Ce qui compte, c'est le rendement de ce propulseur et la puissance du pilote. Ce qui compte également c'est la traction que demande la machine pour se maintenir en vol horizontal, soit-elle un planeur agrémenté d'ailettes, soit elle un ornithoptère complet. Certes le complet profitera mieux de l'accroissement de l'allongement effectif dû au vol battu, mais les ailettes distales seront en bonne position pour le faire en faveur de l'aile fixe : comme le fait un Winggrid, comme le font les rémiges primaires des rapaces, elles transmettront une partie de leur propre allongement à toute l'aile.
D'un autre côté cette aile très souple nécessaire au rendement de l'aile battante doit être soigneusement contrôlée. Les très grandes ailes d'un Snowbird seraient difficilement prises en charge par le pilote, plus souples comme semble le souhaiter Todd Reichert elles devraient inclure des servo-moteurs. Les ailerons que Blériot et beaucoup de constructeurs du début du 20º ont imposé contre le vrillage cher aux frères Wright, minimisent (encore aujourd'hui) les forces mises en œuvre pour leur action. Les ailettes modestes du partiel seront rapidement à l'angle d'attaque requis et ne demanderont que peu d'énergie pour leur contrôle. L'idée d'un contrôle de la souplesse que j'ai présenté auparavant est certainement critiquable car il faudrait anticiper le durcissement avant de ressentir la perturbation. Le combiner avec un contrôle actif réduirait encore la dépense énergétique due au vrillage commandé, soit comme contrôle d'attitude, soit comme commande nécessaire au vol battu.
Cette manière de voler n'était pas à la portée des pionniers de l'aviation. Certes l'observation, les connaissances acquises par Clément Marey, auraient permis de faire mieux si autant d'énergie humaine avait été mise au service de l'ornithoptère 1900 qu'à celle de l'avion à ailes fixes. Cela ne fut pas le cas, entre autres parce que l'on préparait une grande tuerie. Allez mettre en batterie une mitraileuse lourde sur un ornithoptère (le heaving toujours le heaving!), encore moins facile que de tirer à travers l'hélice! L'ornithoptère d'attaque risque de jamais exister que dans « Dune ». Le débouché MAV est même incertain, rien que l'étude est d'un coût prohibitif et la réalisation risque d'être beaucoup plus chère que celle d'un modèle à hélice ou d'un quadricoptère. Pourtant le gain d'autonomie que les résultats du Festo laissent augurer devraient intéresser les États Majors. Je crains qu'ils n'en aient rien à foutre ou plutôt j'en serais ravi ! Malheureusement on n'arrête pas le progrès. « Du lithium, encore plus de lithium, car c'est la guerre » aurait dit Groucho en pareil cas. Je dois avouer que si je suis marxiste, c'est à la tendance Harpo que j'adhère.
Au début du 20º siècle le choix des matériaux était restreint. Nous avons maintenant des tissus élastiques, des composites, des mousses, des aciers et des alus spéciaux, le titane, les matériaux auto-lubrifiants, les matériaux céramique. J'arrête ! La liste serait interminable et je n'évoque pas les moyens d'animer les ailes, ils sont nombreux également.
L'étude d'une telle machine sur ordinateur autorise l'optimisation des formes en plan, des mouvements et des sections pour le meilleur rendement. Certes un programme détaillant suffisamment de positions et forces élémentaires pour en calculer les conséquences dans le sillage va être lourd et demander du temps à l'exécution ou de grosses puissances de calcul. Cependant ce travail est concevable.
Alors ? Qu'est-ce qui empêche de le faire ? Le marasme social actuel ? L'innovation est un bon moyen de sortir du marasme, toutes les crises l'ont démontré. Je crains plutôt qu'à l'ère des managers ceux-ci aient déterminé que l'ornithoptère ne faisait pas un rond. Au mieux ils envisageront de nous soutenir quand il n'y aura plus une goutte de pétrole ni un gramme de lithium.
Respectueux des grandes valeurs de l'humanisme je ne vous inciterai pas à la violence mais tous ensemble nous pourrions faire honte aux grands décideurs sur ce sujet et sur beaucoup d'autres d'ailleurs.
Ainsi démoralisés certains changeront peut-être leur fusil d'épaule, je veux dire changeront de style et d'objectifs. Du moins je l'espère !

P.S. Mon projet d'Orni grandeur est un biplan pour plusieurs raisons: recherche d'une faible trainée induite pour une envergure et un allongement modérés, montage et démontage facile d'éléments de taille réduite, et bien sûr la partie fixe devant supporter les efforts de portance et de traction des parties mobiles distales, les ailes d'un tel biplan, proche en cela du projet Colab, sont mutuellement haubanées. Vous noterez cependant les différences suivantes : il n'y a pas ou peu de recouvrement au bord marginal; l'Orni n'utilise pas le "bouclage" car les ailerons doivent prolonger les ailes et parce que je pense que l'efficacité-envergure d'un tel biplan est de la même nature que celle d'une aile à rémiges ; il peut d'ailleurs être doté de telles rémiges ; le dièdre de l'aile arrière est limité ainsi que sa flèche avant, le mât de liaison entre les deux ailes est soumis à plus de contraintes que le panneau ou demi-tunnel Colab, mais l'effet Nenadovitch s'exerce ainsi sur toute l'envergure ; enfin étudiant les biplans Nenadovitch depuis 1980 je suis persuadé que les profils avant et arrière doivent être différents : laminaire à l'aile avant, à bosse avancée à l'aile arrière, ainsi le venturi prend toute son efficacité pour donner une aile avant profondément laminaire jusqu'à des Cz importants, l'aile arrière étant volontairement sacrifiée puisqu'elle travaille de toute façon en air perturbé. Le projet présenté comporte deux ailettes battantes, les essais et les recherches pourraient éventuellement conduire à une disposition à quatre ailes battantes. Le cahier des charges est celui d'une machine sportive. Les capacités de l'être humain ne peuvent viser que le vol horizontal, encore faut-il préciser, si le pilote est un athlète de haut niveau. J'envisage donc une petite machine qui descendrait inexorablement ... sans les ascendances. Elle devrait avoir le même usage que les Athos et leurs parentes, ayant encore plus de finesse que ces ailes surtout quand le pilote se charge de diminuer la chute ; départ sur les sites de vol libre parmi les deltas et les parapentes, mais des vols de longue durée pour qui saura s'en servir. Quand à renouveler ou dépasser les records existants il faudrait alors de plus grandes ailes de très haute technologie. Voila le budget de l'amateur dépassé. A l'autre extrême des choix, il faut tenir compte du fait qu'un ornithoptère légèrement motorisé autorise des matériaux moins sophistiqués, donc, malgré le coût du moteur, une économie pour le constructeur. C'est moins brillant mais c'est sans doute la voie pour que des amateurs, éclairés bien sûr, se glissent dans cette recherche complexe.

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